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1 December 2016 Obituary of Jacques Gamisans (1944–2015)
Daniel Jeanmonod
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Jacques Gamisans est décédé le 28 septembre 2015. Il était un collaborateur très fidèle et de longue date des Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève (CJBG). Sa mort précoce et inattendue m'a très profondément attristé car Jacques était pour moi bien plus qu'un collaborateur et qu'il laisse orpheline la botanique corse, tant il était considéré comme le maître en ce domaine. Ses liens avec notre institution étaient très forts puisqu'il était le président du «Projet flore Corse», un projet phare des CJBG, ceci depuis sa création en 1985. Mais même avant cela, déjà depuis 1970, Jacques fut un contributeur très actif à notre revue Candollea, comme nous le verrons plus loin.

Jacques Gamisans est né en août 1944 à Saint-Orens de Gameville (Haute-Garonne), en Occitanie selon ses propres mots, en revendiquant avant tout une nationalité catalane et une citoyenneté française et européenne. Ce détail montre son attachement à la région plutôt qu'à la nation, ce qui a eu un impact sur sa carrière scientifique. Après une licence es Sciences naturelles en 1965 à Toulouse, il a poursuivi ses études à Aix-Marseille où il a passé son DEA de Biologie en 1966. Le prof. P. Quézel lui ayant proposé un sujet de doctorat sur les montagnes corses, Gamisans va explorer systématiquement les massifs de cette île durant sept ans (1966–1972). Il en résulte, en 1968, une thèse de 3e cycle sur une «Etude phytosociologique de la zone montagneuse correspondant au projet du Parc National de Corse» puis une thèse de doctorat en 1975 sur «La végétation des montagnes corses» (publiée dans Phytocoenologia entre 1976 et 1978). L'époque privilégiait avant tout la phytosociologie, mais, comme on le verra, Gamisans était également fortement attiré par la floristique, la taxonomie, la phytogéographie et l'aspect patrimonial de la flore.

Jacques Gamisans poursuit ensuite sa carrière comme Maître de conférence au laboratoire d'écologie méditerranéenne de l'Université de Marseille jusqu'en 1994, puis au laboratoire d'écologie terrestre de Toulouse jusqu'en septembre 2004, date de sa retraite de l'enseignement universitaire. Mais il poursuivit ensuite une activité scientifique et d'expertise sur la Corse, jusqu'à son décès prématuré.

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Jacques Gamisans a essentiellement travaillé sur la Corse, une île qui lui était chère et dont il connaissait chaque bergerie, chaque sommet, chaque sentier, l'ayant parcourue chaque année durant plus de 50 ans. Si près de 90% de ses publications sont liées à cette île, il a également collaboré à quelques études sur d'autres régions de la rive nord de la Méditerranée de la Thrace à l'Espagne en passant par la Calabre, la Sardaigne, les Dolomites, la Provence, les Alpes du Sud, le Massif central, les Pyrénées, la Catalogne, l'Aragon, le système bétique et les Monts cantabriques.

C'est dans le cadre de l'étude de la flore corse que Jacques Gamisans a été amené à collaborer avec notre institution. En effet, le grand maître avant lui était John Briquet (1870–1931), ancien directeur de notre institution et auteur du Prodrome de la Flore Corse, un ouvrage inachevé à sa mort. Jacques Gamisans est conduit naturellement à consulter les herbiers de Briquet à Genève et à proposer la publication de ses découvertes floristiques à notre revue Candollea où Briquet, mais aussi Litardière (1888–1957), avaient publié leurs contributions sur la Corse.

C'est tout aussi naturellement qu'en 1985, G. Bocquet, directeur de notre institution de 1979 à 1986, désireux d'achever le Prodrome de la flore Corse de Briquet, lance le projet international «Flore Corse» en me demandant de le piloter et en faisant appel à Gamisans pour la présidence du comité scientifique.

Dès lors une collaboration très intense s'établit entre nous, avec une émulation qui touchera d'ailleurs tous les botanistes liés à la Corse.

Sous l'aspect scientifique, Jacques Gamisans a écrit ou collaboré à quelques 185 publications dont 162 sont liées à la Corse et dont la très grande majorité portent sa signature comme premier ou unique auteur, ce qui traduit bien son immense apport à la flore et la végétation de l'île. Parmi ces publications, 49 sont publiées dans Candollea et neuf autres par les éditions des CJBG, sans parler de l'œuvre majeure de Flora Corsica en collaboration directe avec les CJBG.

L'essentiel des articles de Gamisans est dédié à l'étude de la végétation de l'île, des formations spécifiques aux montagnes corses, de la caractérisation des étages de végétations, ce qui l'a conduit à décrire un nombre important de syntaxons (environ 180) et à publier plusieurs cartes de végétations (Niolu, Haut-Venacais, Scandola). L'autre partie de ses publications, non moins essentielle, est liée à la flore elle-même et à l'étude taxonomique de certains taxons. Jacques Gamisans a ainsi décrit, à notre connaissance, 32 taxons dont 9 espèces, et a proposé 53 nouvelles combinaisons. On peut également relever que deux espèces endémiques de Corse lui ont été dédiées: Taraxacum gamisansii par van Soest en 1974 et Festuca gamisansii par Kerguélen en 1987.

Un autre aspect de ses publications touche à sa collaboration à des études phytochimiques sur divers végétaux corses.

Plutôt que les congrès et les projecteurs, Jacques Gamisans a toujours privilégié le soleil et les études in situ de la flore corse dans son ensemble, avec ses interactions, son histoire et sa relation avec l'homme et la culture locale. La notion de patrimoine (naturel mais aussi culturel) avait un sens profond pour lui ce qui l'a conduit à mettre en valeur et défendre ce patrimoine bien davantage que sa carrière. Pour avoir beaucoup travaillé avec lui, beaucoup échangé et surtout pour l'avoir vu sur le terrain, je peux témoigner de la connaissance profonde, je dirais presque intime, qu'il avait de la flore et de la végétation corse en y incluant sa valeur culturelle. Il était le maître incontesté de la botanique corse comme l'écrivent Médail et Bioret (Bull. Soc. Bot. Centre-Ouest 46: 279, 281 en 2015).

Cette haute connaissance de Gamisans pour la flore et la végétation de l'Ile de Beauté l'ont amené à effectuer des synthèses sous la forme d'ouvrages comme ceux de La Végétation de la Corse, La Flore endémique de la Corse ou encore Flora Corsica, et à faire de nombreuses expertises à la demande notamment de divers organismes insulaires, comme pour le Parc Naturel Régional de Corse, pour certaines Réserves, pour l'Agence pour la gestion des Espaces Naturels de Corse, pour la Diren et pour le Conservatoire Botanique National de Corse. En 1993 il était devenu expert de l'UICN pour la flore des îles Méditerranéennes, depuis 2006 il faisait partie du Conseil scientifique du Comité Scientifique Régional de protection de la Nature de Corse, et il présida de 2007 à 2014 le conseil scientifique du Conservatoire National de Corse. De 2007 à 2012 il a par ailleurs fait partie du patronat qui gère le jardin botanique «Marimurtra» de Blanes en Catalogne.

Pour en revenir aux relations entre Gamisans et notre institution, nous avons évoqué plus haut sa collaboration quasi annuelle durant 45 ans (1970–2015) à notre revue Candollea. Dans cette collaboration, il y a notamment ses dix Contributions à l'étude de la flore Corse (Candollea 25 à 40 de 1970 à 1985), mais aussi sa collaboration indéfectible aux 25 Notes et contributions à la flore de Corse (Jeanmonod et al. (ed.), Candollea 41 à 70 de 1986 à 2015) dans lesquelles il a écrit cinq Contributions et collaboré à 441 Notes dont 23 concernent la découverte de nouvelles plantes pour la Corse. On y notera, entre autres, les découvertes de Chaenorrhinum rubrifolium subsp. pseudorubrifolium, Daphne alpina, Liparis loeselii, Corallorhiza trifida, Potamogeton polygonifolius, Cotoneaster integerrimus, Pimpinella tragium et Coeloglossum viride, ce qui montre son sens aigu de l'observation sur le terrain. C'est aussi dans Candollea que Gamisans décrit nombre de ses nouvelles espèces comme Seseli djianeae dédiée à son épouse (Candollea 27 en 1972), Adenostyles briquetii dédié à Briquet (Candollea 28 en 1973), Erigeron paolii dédiée au célèbre libérateur corse (Candollea 32 en 1977), Ranunculus sylviae et R. elisae, dédiées à ses deux filles (Candollea 47 en 1992) ou encore Hippocrepis conradiae, dédiée à Mme Conrad (Candollea 66 en 2011). Le nom de ces quelques espèces illustre d'ailleurs parfaitement l'attachement de Gamisans à sa famille, ainsi qu'à la botanique et la nation corses.

Par ailleurs Gamisans a tout de suite montré beaucoup d'enthousiasme à terminer le Prodrome de la flore Corse en rédigeant ou collaborant à neuf des 19 volumes des Compléments au Prodrome de la flore Corse édités aux CJBG. Il aura d'ailleurs tout juste pu voir le dernier volume et donc l'achèvement du Prodrome auquel il tenait tant. Enfin sa collaboration a été essentielle à l'édition de la Flora Corsica qui faisait suite à son Catalogue des plantes vasculaires de la Corse. Ce fut un travail intense entre nous, avec parfois des échanges quotidiens de courriels. Il m'a alors beaucoup appris et je crois que nous nous complétions parfaitement. J'avoue repenser à cette période avec beaucoup demotion et regretter très fort, Jacques, que tu sois parti si vite. Nous avions encore beaucoup à faire ensemble.

Un autre apport considérable de Gamisans à notre institution est son herbier corse qu'il nous a cédé en 2002, ce qui démontrait la confiance qu'il avait en notre institution. Riche de quelques 11000 échantillons, cet herbier renferme les échantillons types des nombreux taxons qu'il a décrits mais également les témoins de ces nombreuses découvertes dans l'île. Cet herbier a pu être numérisé et devient ainsi, avec les autres échantillons corses numérisés (env. 40000 sur les 100000 échantillons corses que compte notre herbier), une source d'information et un outil essentiel pour l'étude de la flore corse. Il a d'ailleurs légué à notre institution ses dernières récoltes, faites de 2002 à 2015.

Gamisans était une personnalité attachante, un humaniste, un homme modeste et discret mais qui savait transmettre ses passions et ses multiples connaissances. Sur le terrain, il était infatigable et toujours vigilant sur la moindre espèce intéressante avec un œil aigu. Il avait un attachement marqué au «pays» au sens traditionnel du terme. Il a toujours défendu les cultures locales, notamment les langues occitanes, catalanes et corses mais aussi la langue française vis-à-vis de l'anglais omniprésent. Il a toujours mis en avant ces différentes cultures, par exemple en chantant lui-même, et fort bien, dans un groupe de musique occitane. Cet attachement est un élément de cette carrière scientifique où il a notamment analysé en détail les espèces endémiques de la Corse mais toujours en cherchant à replacer ces éléments dans un contexte plus large, à en analyser l'origine ainsi que les liens avec les contrées avoisinantes, les rôles historiques et paléohistoriques.

C'est donc une œuvre considérable aux résultats très importants et très divers, mais aussi une œuvre scientifique profondément attachée à la culture, et enfin une formidable mise-en-valeur de la biodiversité végétale locale que Jacques Gamisans laisse derrière lui. Merci Jacques !

Eponymie

Taraxacum gamisansii Soest (Asteraceae) in Candollea 29: 53. 1974.

Festuca gamisansii Kerguélen (Poaceae) in Lejeunia 120: 95. 1987.

Daniel Jeanmonod "Obituary of Jacques Gamisans (1944–2015)," Candollea 71(2), 379-381, (1 December 2016). https://doi.org/10.15553/c2016v712a20
Published: 1 December 2016
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