Il peut sembler étonnant de publier dans un journal de botanique la nécrologie d'un entomologiste. Néanmoins, le professeur Roger Vuattoux, responsable scientifique puis directeur de la station d'écologie tropicale de Lamto entre 1962 et 1997, a permis à plusieurs générations de botanistes des Conservatoire et Jardin botaniques de Genève [CJBG] d'accomplir leurs travaux de terrain et de se familiariser avec l'environnement naturel et humain ouest-africain. La station d'Écologie Tropicale de Lamto fut fondée en 1961 par le CNRS et le laboratoire de Zoologie de l'École normale supérieure de Paris, en collaboration avec l'Université d'Abidjan, à laquelle elle fut rattachée. Le nom de Lamto vient de la contraction des patronymes des fondateurs de la station: le professeur Maxime Lamotte (École normale supérieure de Paris) et Monsieur Jean-Luc Tournier (directeur de l'observatoire sismologique situé sur ladite station). Lamto, située dans une mosaïque de végétation, au centre de la République de Côte d'Ivoire, en pays Baoulé, est le site idéal pour étudier différents types de savanes et de forêts humides, ainsi que les interactions de l'humain avec cet environnement.
Roger Vuattoux a dirigé la station d'écologie de Lamto seul pendant près de 40 ans. Il s'occupait de tout, intendance, entretien des bâtiments, relations avec l'Université d'Abidjan et surtout avec les villageois dont dépendait la station. Il gérait aussi le personnel, c'est à dire les chercheurs de la station, ceux de passage, ainsi que les chargés de maintenance; soit près de 100 personnes. Ici, nous mentionnons surtout les scientifiques provenant de Suisse et de Genève, mais ils ne représentent qu'un petit nombre en comparaison des nombreux chercheurs français, africains, européens et même américains. C'est très certainement plus de 500 chercheurs et étudiants qui sont passés à Lamto et qui, pour la plupart d'entres eux, ont publié des résultats sur cette région et la Côte d'Ivoire en général. Excellent chercheur lui-même, Roger Vuattoux suivait les travaux de tous ses hôtes, les conseillait, mais leur laissait toute liberté. A Abidjan, c'était un enseignant apprécié des étudiants. Il rédigeait dans un style concis et clair. Homme discret, gardant toujours son calme, Roger savait conserver sa sérénité en toutes circonstances. Très cultivé, lisant énormément, il participait aux discussions qui agitaient souvent les tablées de chercheurs lors des repas mais savait les tempérer. Ce qu'il aimait c'était débattre sans polémiquer. Passionné d'histoire et d'archéologie, il était abonné à Archeologia depuis toujours.
Dès son arrivée en janvier 1962, Roger Vuattoux s'est immergé dans le monde africain, s'en est imprégné jusqu'à adopter certaines attitudes, certains comportements typiques. Le monde baoulé est devenu le sien et les Baoulés le reconnaissaient comme un des leurs. Connaissant l'histoire des peuples africains, il parlait aussi dioula, bété et d'autres langues. Certains de ses intimes évoquent discrètement ses relations avec les rites locaux. Mais là encore il restait réservé.
Depuis le milieu des années 60, les directeurs successifs des CJBG ont régulièrement envoyé à Lamto des chercheurs, des doctorants et des diplomants; des zoologues et ethnologues d'autres instituts suisses y ont aussi séjourné. Roger Vuattoux se consacrait à ces visiteurs avec bienveillance et efficacité. Entomologiste, mais naturaliste complet, il avait une connaissance approfondie de la biodiversité et de l'environnement naturel et humain de la Côte d'Ivoire en général et de la région baoulé en particulier. C'est grâce à ses connaissances et à celles de ses nombreuses relations auprès des taxonomistes et parataxonomistes africains que les botanistes des CJBG ont pu s'immerger dans la «brousse» et dresser leurs premiers inventaires. Les CJBG lui doivent beaucoup. Le premier auteur de cette note a notamment publié avec Roger Vuattoux, en 1997, un article sur les relations plantes-insectes combinant leurs compétences respectives en botanique et en entomologie (Spichiger et al. 1997, Candollea 52: 113–117).
Roger Vuattoux, l'Africain, charismatique et bienveillant, a marqué durablement tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer.
Eponymie
Exelastis vuattouxi (Bigot, 1970) (Lepidoptera, Pterophoridae) in Bull. Inst. Fond. Afr. noire A 32: 761.
Bathycolpodes vuattouxi (Herbulot, 1972) (Lepidoptera, Geometridae) in Bull. Inst. Fond. Afr. noire A 34: 473.
Mentaxya vuattouxi (Laporte, 1972) (Lepidoptera, Noctuidae) in Bull. Soc. Entomol. Fr. 77: 238.
Mythimna vuattouxi (Laporte, 1973) (Lepidoptera, Noctuidae) in Bull. Soc. Entomol. Fr. 78: 61.
Marcipa vuattouxi (Pelletier, 1978) (Lepidoptera, Erebidae) in Mém. Mus. Natl. Hist. Nat., sér. A Zool. 110: 101.
Vuattouxia (Blandin, 1979) (Araneae, Pisauridae) in Rev. Zool. Afric. 93: 366.
Vuattouxia kouassikonani (Blandin, 1979) in Rev. Zool. Afric. 93: 367.
Polyptychoides vuattouxi (Pierre, 1989) (Lepidoptera, Sphingidae) in Rev. Fr. Entomol. 106: 263.
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