Nous avons évalué l'impact anthropique sur la richesse, la diversité, l'abondance et la densité relative des Rongeurs dans quatre habitats de la Réserve de Masako au nord-est de la République Démocratique du Congo. Une forêt primaire à Gilbertiodendron dewevrei et trois habitats d'origine anthropique (forêt secondaire, jachère et zone de contact jachère/forêt secondaire (lisière)) ont été investigués de mai 2009 à avril 2010. 1275 spécimens répartis entre 24 espèces et 5 familles inventoriées ont permis de quantifier des différences de composition et d'abondances entre un habitat non perturbé et des milieux anthropisés, ainsi qu'entre une lisière et des habitats adjacents. Nos résultats montrent une distribution non uniforme des Rongeurs dans les quatre milieux. La richesse et la diversité sont élevées en lisière et faibles en forêt primaire. Chaque milieu héberge une densité relative différente. Les plus fortes densités sont observées en forêt secondaire et jachère; la plus faible est observée en forêt primaire. Les abondances diffèrent significativement entre les habitats, à l'exception de la paire forêt secondaire - jachère. Les paramètres dans la lisière diffèrent de ceux des habitats adjacents, traduisant l'existence d'un effet de lisière. Les équitabilités faibles obtenues dans tous les habitats traduisent l'instabilité relative de cet écosystème forestier. Le test de χ2 atteste l'existence de l'effet « saison » sur les abondances des Rongeurs. De même, ce test confirme l'existence de l'effet « activités anthropiques » sur les abondances dans les milieux anthropisés, mais pas en forêt primaire.
Introduction
Les écosystèmes forestiers tropicaux n‘échappent pas à la déforestation malgré leur grande complexité, leur remarquable diversité et leur importante richesse de formes biologiques. Ils sont très menacés de dégradation suite aux divers facteurs tels que le changement climatique régional [1] et les types d'activités anthropiques qui y sont pratiquées, notamment l'agriculture itinérante sur abattis-brûlis [2], l'exploitation du bois sous diverses formes (bois de chauffe, bois d’æuvre et d'industrie), la cueillette et la chasse, l'urbanisation, l'installation des infrastructures de développement et l'exploitation minière [3]. Face aux menaces que les activités anthropiques font peser sur ces écosystèmes, une préoccupation croissante se développe autour des problèmes de perte et de dégradation de la biodiversité [3, 4]. C'est ainsi que les études liées au phénomène de déforestation se multiplient, en vue d‘évaluer l'impact de la dégradation et de la fragmentation accélérée des écosystèmes sur la biodiversité des habitats et son évolution dans l'espace et dans le temps. Cette fragmentation se traduit par l'augmentation de la proportion des lisières qui sont des zones situées à l'interface d'habitats contrastés et sur lesquelles s'exercent les « effets de lisière » [5, 6].
Les Rongeurs sont parmi les petits Mammifères, ceux qui contribuent le plus à la diversité spécifique d'un écosystème. Ils interagissent intensivement avec leur environnement et ont des effets complexes sur les autres organismes (végétaux et animaux) [7]. Ils forment un maillon important dans les réseaux trophiques et constituent une ressource alimentaire représentant une proportion non négligeable du gibier dans plusieurs contrées africaines [3]. Vu leur abondance et leur dépendance vis-à-vis des plantes et des insectes dont ils se nourrissent, ils sont des victimes directes des actions anthropiques [8]. Leur forte association à des habitats particuliers dont témoignent certaines évidences paléontologiques et écologiques fait d'eux d'intéressants indicateurs du changement des conditions du milieu et de la fragmentation des habitats [9, 10]. De même, il est admis que des changements rapides dans les écosystèmes naturels conduisent à la dominance de quelques espèces opportunistes [11].
La présente étude a pour but de vérifier les hypothèses selon lesquelles les activités humaines pratiquées à Masako auraient un impact sur la distribution de la diversité spécifique, des abondances et des densités relatives des Rongeurs entre les différentes taches d'habitat dans cet écosystème forestier. Le milieu non perturbé compterait une diversité, une abondance et une densité relative différentes de celles de chaque milieu anthropisé et présenterait une très faible similarité avec ces derniers. Comme l'ont montré certains auteurs [5, 6], la zone de lisière hébergerait une richesse et une diversité plus élevées. Cette zone se caractériserait par des abondances et des densités de Rongeurs différentes de celles des habitats adjacents. Face aux conditions changeantes du milieu [10], les espèces les mieux adaptées à un type d'habitat y deviendraient dominantes.
C'est pourquoi, nous avons entrepris une étude sur les effets des activités anthropiques durant une période de 12 mois dans la Réserve Forestière de Masako localisée à Kisangani en République Démocratique du Congo. La Réserve est l'un des blocs forestiers importants des environs de Kisangani et abrite une gamme importante de petits Mammifères [3]. Ceux-ci sont particulièrement reconnus comme sensibles aux transformations de leurs habitats [10]. La présente étude établit des interactions entre les activités humaines et la distribution de la biodiversité des Rongeurs.
Méthodes
La présente étude, effectuée sur autorisation de la Coordination Provinciale de l'Environnement et Conservation de la Nature en Province Orientale (RD Congo), a été conduite de mai 2009 à avril 2010 dans la Réserve Forestière de Masako (0°36'N et 25°13'E), d'une superficie de 2.105 ha et située à 15 km de la ville de Kisangani au nord-est de la République Démocratique du Congo [12, 13]. Trois types de pièges appâtés à la pulpe de noix de palme et au manioc cru ont permis de capturer les animaux : les clapettes du type « Lucifer Rat Traps », les pièges Shermans du type « Life folding traps » en aluminium et les pièges traditionnels fabriqués à l'aide de bâtonnets et de ficelles.
Le dispositif d‘échantillonnage était constitué de quatre grilles de capture installées respectivement dans la jachère (J), la zone de lisière (L), la forêt secondaire (Fs) et la forêt primaire à Gilbertiodendron dewevrei (Fp) (Fig. 1). Chaque grille (1 ha) comptait 120 pièges (50 clapettes, 50 Shermans et 20 pièges traditionnels). Une distance de 300 m était maintenue entre les grilles J, L et Fs dans le but de disposer d'observations indépendantes. La grille Fp, qui sert de témoin à la comparaison avec les milieux anthropisés, était installée à 1,5 km en raison du recul de la forêt vierge face à la pression anthropique.
La végétation de la grille Fp est caractérisée par la dominance de Gilbertiodendron dewevrei (Caesalpiniaceae) accompagnée de quelques essences comme Polyanlthia mavelolens, Strombosia glaucescens, Annonidium mannii, Diospyros melocarpa, Staudtia gabonensis, Strombosia grandiflora, Isolonona hexaloba, Garcinia epunctata, Cola griseiflora, Uapaca guineensis et Monodora angolensis. La grille Fs est principalement caractérisée par les espèces Petersianthus macrocarpus, Trichilia gilgiana, Hannoa klaineana, Entandrophragma angolense, Uapaca guineensis, Funtumia africana, Dichostema glauscens, Pycnanthus angolense, Staudtia kamerunensis, Trilepisium madagascariense, Entandrophragma cylindricum, Coelocaryon botryoides et Ricinodendron heudelotii. Dans la grille J, les espèces fréquemment présentes sont Elaeis guineensis, Pteridium aquilinum, Alchornea cordifolia, Rauvolfia vomitoria, Manihot esculenta, Triumfetta cordifolia, Caloncoba welwitschii, Costus lucanusianus, Palisota ambigua, Ananas comosus, Aframomum sanguineum, Harungana madagascariensis, et Macaranga monandra. La végétation de la grille L est dominée par Musanga cecropioides, Dichostema glauscens, Petersianthus macrocarpus, Pycnanthus angolensis, Uapaca guineensis, Macaranga spinosa, Trichilia gilgiana, Hannoa klaineana et Coelocaryon botroides (Fig. 2).
Les captures se faisaient durant cinq jours chaque mois [3, 12]. Les relevés ont eu lieu chaque jour autour de 9h00. Les individus ont été identifiés sur la base d'une combinaison de données morphométriques externes (tous les spécimens) [3, 1415–16] mesurées à l'aide d'un pied à coulisse et d'analyses phylogénétiques des séquences du cytochrome de l'ADN mitochondrial obtenues (tous les individus des genres Praomys, Hylomyscus, Graphiurus, Grammomys et Mastomys ainsi que quelques représentants des autres genres) [17], qui ont été comparées avec la base de données des séquences d'ADN disponible au Département des Vertébrés de l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Bruxelles. Les individus morts lors de la capture (33 spécimens) ont également été utilisés pour des analyses d'ADN et finalement, incorporés comme spécimens dans la collection de l'Institut Royal de Bruxelles et du Laboratoire de Biologie Evolutive (Evolutionary Biology Group) de l'Université d'Anvers.
Les données récoltées ont permis de déterminer les richesses spécifiques des habitats en se servant de l'indice de Margalef (RMg) dont les valeurs s'obtiennent par la formule;
où N est le nombre d'individus et S est le nombre d'espèces capturées. La diversité (D) et l'équitabilité (E) des Rongeurs dans les habitats ont ensuite été déterminées en utilisant les indices de Simpson:
où D est l'indice de diversité et pi la proportion d'individus de l'espèce i. Les similarités de la composition faunistique des habitats ont également été calculées à l'aide du coefficient de Jaccard (Cj):
où a est le nombre d'espèces communes pour les habitats comparés; b et c équivalent au nombre d'espèces présentes seulement dans un des deux habitats [18]. Finalement, les densités relatives (T) ont été déterminées:
avec T la densité relative ou indice de piégeage, n le nombre de pièges utilisées et t le nombre de nuits de capture effectives [9].
Pour tester la distribution des abondances, les moyennes mensuelles d'individus capturés dans les différents habitats ont été comparées à l'aide du test t de Student. Pour vérifier l'existence d'un effet « saison », les effectifs observés durant les différentes saisons (septembre à novembre; décembre à février; mars à mai; juin à août) ont été comparés aux valeurs attendues pour une distribution uniforme à l'aide du test de χ2. De même, χ2 a permis de tester les effets anthropiques sur l'abondance de rongeurs en comparant les effectifs de la période (de juin à août) d'intenses activités anthropiques (incinération des champs et récolte des chenilles) aux valeurs mensuelles attendues selon une distribution uniforme. L'analyse de l'impact de l'anthropisation a été complétée par une comparaison des données de la forêt primaire à Gilbertiodendron dewevrei avec celles de la jachère et de la forêt secondaire. Enfin, pour vérifier l'existence d'un effet de lisière, celle-ci a été comparée aux deux habitats qu'elle sépare (jachère et forêt secondaire).
Résultats
Durant une année de capture, un total de 457 (35.8%), 286 (22.4%), 477 (37.4%) et 55 (4.3%) individus regroupés en 24 espèces et 5 familles a été réalisé respectivement dans les grilles J, L, Fs et Fp pour 7200 nuits-pièges/grille (Appendix 1).
Les Nesomyidés ont été les plus représentés (17 espèces), suivis des Sciuridés (3 espèces), Gliridés (2 espèces); les Thryonomyidés et Anomaluridés comptent 1 seule espèce (Appendix 2).
L‘évolution annuelle des captures est donnée dans la Fig. 3.
La comparaison des effectifs observés et ceux attendus par saison dans les quatre habitats donne des différences significatives pour la jachère (χ2=15.67; p<0.01; ddl=3), la lisière (χ2=8.00; p<0.05; ddl=3) et la forêt secondaire (χ2=9.08; p<0.05; ddl=3). Par contre, ces effectifs ne diffèrent pas significativement en forêt primaire (χ2=1.80; p>0.05; ddl=3). De même, les effectifs obtenus durant les mois de brûlis des champs et récolte des chenilles (juin à août) comparés aux valeurs mensuelles attendues donnent des différences significatives pour la jachère (χ2= 11.52; p<0.01; ddl=2), la lisière (χ2=6.63; p<0.05; ddl=2) et la forêt secondaire; (χ2=7.72; p<0.05; ddl=2). A l'inverse, ces effectifs ne diffèrent pas en forêt primaire (χ2= 1.17; p>0.05; ddl=2).
Les moyennes mensuelles des captures sont très significativement différentes entre la jachère et la lisière (t=5.72; p<0.001; ddl=22), la jachère et la forêt primaire (t=14.89; p<0.001; ddl=22), la lisière et la forêt secondaire (t=-7.27; p<0.001; ddl=22), la lisière et la forêt primaire (t=14.99; p<0.001; ddl=22), la forêt secondaire et la forêt primaire (t=18.61; p<0.001; ddl=22). Par contre, ces moyennes ne montrent pas de différence significative entre la jachère et la forêt secondaire (t=−0.58; p>0.05; ddl=22).
La zone de lisière est l'habitat le plus riche (grande valeur de RMg) et le plus diversifié (faible valeur de D), alors que la forêt primaire à Gilbertiodendron dewevrei est moins riche (petite valeur de RMg) et moins diversifiée (grande valeur de D) en espèces de Rongeurs. La jachère et la forêt secondaire présentent des richesses similaires. Les équitabilités sont relativement faibles dans les quatre habitats avec la plus grande valeur enregistrée en forêt primaire et la plus faible valeur en forêt secondaire. La densité relative la plus élevée est obtenue en forêt secondaire et la plus faible en forêt primaire; des valeurs intermédiaires caractérisent la lisière et la jachère (Tableau 1).
Sur la base de Cj, on observe que la forêt primaire montre une similarité de 58% avec la forêt secondaire et de 36% avec la jachère. La zone de lisière partage 77% de similarité avec la forêt secondaire et 70% avec la jachère. La jachère et la forêt secondaire sont similaires à 58%.
Discussion
Une augmentation des captures est observée durant les périodes de février à mai et de septembre à novembre dans la jachère, la lisière et la forêt secondaire. La même tendance est observée en décembre mais uniquement dans la lisière. Il s'agit des périodes pluvieuses, principalement caractérisées par une faible intensité des activités champêtres, une forte diminution de la perturbation anthropique [13, 19], et la fructification de la plupart des plantes sauvages de la région [20]. Ceci conduirait à un accroissement de la reproduction des rongeurs [21] étant donné que la majorité des espèces présentes à Masako sont insectivores et frugivores. Elles exploitent mieux la nourriture végétale au moment de la reproduction [3]. Par ailleurs, on note qu'il existe un lien entre les variations saisonnières des abondances relatives des rongeurs et les précipitations qui favorisent la fructification des plantes et l'abondance des insectes [22]. Une forte diminution des captures a été détectée de juin à août dans les trois milieux perturbés (jachère, lisière et forêt secondaire). Nous pouvons attribuer ce constat à la saison (grande saison sèche) et aux intenses perturbations anthropiques [13, 23] liées principalement aux brûlis des champs et à la récolte des chenilles [19, 24] durant cette période comme l'attestent les analyses statistiques. En effet, une forte relation a déjà été constatée entre l'intensité du feu, la saison sèche et l'abondance des Rongeurs dans les écosystèmes forestiers tropicaux [1, 25].
Tableau 1.
Richesses (RMg), diversités (D), équitabilités (E) et densités relatives ou indices de piégeage (T (%)) des rongeurs récoltés de mai 2009 à avril 2010 dans la Réserve Forestière de Masako (Kisangani, République Démocratique du Congo). N = Nombre d'individus capturés; S = Nombre d'espèces capturées.
Les captures dans la forêt non perturbée restent quasi uniformes durant toute l'année (capture inférieure à 7 individus/mois). Ceci est vraisemblablement dû aux conditions macroclimatiques régionales quasi constantes [21] qui maintiennent la flore et la faune à un niveau plus ou moins régulier [14, 15], ainsi qu‘à l'absence d'activités agricoles [23] dans cette forêt, comme démontrée par les analyses statistiques.
De manière générale, cette étude montre une différence dans la distribution des abondances et des richesses spécifiques entre les habitats concernés; la même observation a été faite par d'autres études [25], et s'explique par les différences écologiques et structurelles entre ces milieux, y compris les différences de régime de perturbation [7, 26].
La zone de lisière est le milieu le plus riche et le plus diversifié en Rongeurs. Cette grande diversité est liée au fait que la lisière réunit les conditions écologiques des milieux qu'elle sépare [12, 27]. Par conséquent, elle détient, en plus de ses espèces spécifiques, une grande partie des espèces des habitats adjacents [2829–30]. La faible richesse et la faible diversité de la forêt primaire à Gilbertiodendron dewevrei peuvent être attribuées à son sous-bois ouvert, qui fait d'elle un milieu de prédilection d'un nombre réduit d'espèces de grande forêt [21, 27].
L'abondance et la densité de Rongeurs diffèrent entre la lisière et les habitats adjacents. Nous estimons que la lisière est une entité qui diffère de façon marquée des habitats qu'elle sépare [31] avec des caractéristiques écologiques, voire des espèces, propres [32]. Les faibles abondances et densités de la lisière, comparativement aux habitats qu'elle sépare, seraient attribuées (i) au taux de mortalité plus élevé généralement observé dans les lisières [33], (ii) à une forte présence des prédateurs [34, 35], (iii) à son rôle de corridor propice au déplacement des espèces [36] qui y transitent sans y être strictement inféodées [31, 37], et finalement (iv) à sa nature de barrière écologique [38].
La jachère et la forêt secondaire partagent de fortes ressemblances du point de vue leur richesse spécifique, abondance relative, densité relative et moyenne de captures. Ceci s'explique par le fait que ces deux biotopes sont caractérisés par des richesses et des abondances quasi égales toute l'année à Masako [21] et se montrent favorables à la majorité des Rongeurs de forêt [12, 27]. Les équitabilités faibles obtenues dans ces habitats seraient un signe de l'instabilité de la Réserve de Masako liée aux diverses perturbations anthropiques [3]; ce qui entrainerait une dominance mais aussi une raréfaction de certaines espèces [27].
Sept espèces ont été recensées dans les quatre biotopes exploités (Praomys cf. jacksoni, Hybomys cf. lunaris, Deomys ferrugineus, Lophuromys dudui, Hylomyscus stella, Malacomys longipes et Praomys misonnei). Ceci est probablement dû à leur mobilité et à la connectivité entre ces habitats qui sont supposés héberger des métapopulations [30, 39, 40].
La forêt non perturbée partage une faible similarité avec la jachère, traduisant ainsi des différences écologiques et microclimatiques significatives entre ces deux habitats [32, 41]. Par contre, la forêt à Gilbertiodendron montre une similarité élevée avec la forêt secondaire, ce qui laisse entrevoir une évolution vers un stade climacique de ce dernier habitat [42]. L‘étude met aussi en évidence la présence d’Anomalurus derbianus en forêt, avec deux individus récoltés. Bien qu'elle passe ses journées dans les creux des arbres [43, 44], cette espèce descend par moment à terre, en quête probable de nourriture.
Thryonomys swinderianus a été capturée dans la jachère. La présence de cette espèce savanicole en milieu forestier des environs de Kisangani est une preuve de son expansion liée à la déforestation croissante en République Démocratique du Congo. Sa présence dans la Réserve de Masako s'explique aussi bien par la dégradation des forêts de cet écosystème que par la forte présence du couvert graminéen dans les jachères, avec des espèces comme Pennisetum purpureum [45].
En conclusion, cette étude a permis de mettre en évidence les effets des activités humaines sur la distribution des rongeurs à Masako. L'existence d'effets liés aux activités anthropiques et aux saisons sur la distribution des Rongeurs a été démontrée dans les habitats anthropisés mais pas en forêt primaire. Les richesses, les abondances, les densités et les moyennes de capture varient, de manière générale, en fonction des habitats, ce qui témoigne d'un effet des changements d'occupation du sol. Les grandes valeurs de similarité observées entre la lisière et les deux habitats qu'elle sépare (jachère et forêt secondaire) traduisent son rôle de zone de transition ou écotone. Les équitabilités observées au sein des habitats sont plutôt faibles, ce qui est un signe de l'instabilité de l‘écosystème forestier de Masako, favorisant la dominance de quelques espèces de rongeurs à haute valence écologique [3]. La zone de lisière présente des différences de diversité, d'abondance, de densité et de moyenne de captures comparativement aux habitats qu'elle sépare. Ceci signifie que la dynamique de l'occupation du sol sous la pression des activités humaines à Masako induit un réel effet de lisière sur les Rongeurs. La lisière est le milieu le plus riche et le plus diversifié en termes de Rongeurs, à l'inverse de la forêt primaire. En définitive, la plus grande diversité observée dans la lisière ne doit pas être considérée comme un argument en faveur de la création de lisières par fragmentation des forêts, mais plutôt comme une confirmation que la plus grande diversité des espèces au niveau du paysage peut être attendue lorsque le mélange des habitats de lisière et de l'intérieur est optimal [23].
Implications pour la conservation
La présente étude met en évidence l'influence de l'anthropisation sur la diversité des Rongeurs. Etant donné que chaque système écologique est caractérisé par une interdépendance entre sa configuration, sa composition et son fonctionnement [46], les changements d'occupation du sol à Masako ont induit des effets clairs sur le fonctionnement des unités paysagères et leur composition en Rongeurs. La richesse, la diversité et les abondances de rongeurs varient en général en fonction des biotopes.
Etant donné que certaines espèces sont inféodées au cæur de la forêt, évitant ainsi toute influence de la lisière [29], l'augmentation de la proportion de lisière suite aux activités humaines reste un élément à considérer comme très négatif dans la conservation de la diversité des Rongeurs de forêt, et ce d'autant plus que certaines espèces de Masako manifestent moins de préférence pour cet habitat [12, 24, 27]. Les faibles effectifs de ces espèces dans la lisière en restent une preuve incontestable. La présence de Mastomys natalensis, un rat anthropophile [21, 47] dans le milieu naturel de Masako témoigne de cette forte anthropisation dont souffre cet écosystème. Il y a lieu, partant de cette étude, de songer à surveiller l‘évolution des populations de cette espèce et d’établir une gestion responsable de l‘écosystème forestier de Masako.
Anomalurus derbianus, capturée puis relâchée dans le contexte de cette étude, figure sur la liste rouge de l'UICN à cause de données biologiques insuffisantes [43]. Son étude et sa protection passe donc obligatoirement par l'enrayement de la dégradation de l'habitat forestier de Masako. La fragmentation des forêts congolaises a conduit à l'expansion de Thryonomys swinderianus, une des espèces nuisibles pour l'agriculture, causant de sévères dégâts aux récoltes. En général, ces espèces sont caractérisées par des taux de reproduction et des capacités de dispersion très élevés qui contribuent grandement à leurs impacts négatifs [48]. Il est donc indispensable de surveiller l'augmentation des populations de cette espèce qui semble déjà être bien installée dans les milieux naturels des environs de Kisangani.
Remerciements
Nous remercions la Coopération Technique Belge (C.T.B.) pour la bourse de doctorat accordée à Mr. Léon IYONGO; la Wallonie Bruxelles Internationale (WBI) pour la subvention complémentaire; l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Bruxelles pour l'identification des échantillons, et la Coordination Provinciale de l'Environnement en Province Orientale (RD Congo) pour avoir autorisé la réalisation de la présente recherche au sein de la Réserve Forestière de Masako.