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30 April 2024 Sur l'espèce élusive Volvarina cernita (Locard, 1897) de l'archipel du Cap-Vert et les formes affines (Mollusca: Marginellidae)
Franck Boyer, Walter Renda
Author Affiliations +
Abstract

L'espèce élusive Volvarina cernita (Locard, 1897) est redécouverte de l'infralittoral inférieur et du circalittoral supérieur de l'archipel du Cap-Vert, et comparée avec les formes les plus proches. Un lectotype est désigné pour cette espèce. Volvarina antoniogonzalezi (Ortea, Moro & Espinosa, 2019), syn. nov., décrite de l'infralittoral supérieur de Sal, est placée en synonymie de V. cernita. L'espèce V. joubini (Dautzenberg & H. Fischer, 1906) est retrouvée de Boa Vista et considérée comme espèce jumelle de V. cernita. L'île de Boa Vista est proposée comme localité type de V. joubini. Une nouvelle espèce de petite taille et présentant des affinités moindres avec V. cernita est décrite du circalittoral de Santiago comme V. santiagoensis sp. nov. Un groupe d'espèces « V. cernita » est défini comme étant composé d'un sous-groupe « V. cernita » qui procède d'une radiation dans l'infralittoral inférieur et le circalittoral supérieur, et d'un sous-groupe « V. blezai» (Ortea, 2019) qui procède d'une radiation dans l'infralittoral supérieur.

The elusive species Volvarina cernita (Locard, 1897) is rediscovered from the lower infralittoral and the upper circalittoral of the Cape Verde archipelago, and compared with the closest forms. A lectotype is designated for this species. Volvarina antoniogonzalezi (Ortea, Moro & Espinosa, 2019), syn. nov., described from the lower infralittoral of Sal, is placed in synonymy with V. cernita. The species V. joubini (Dautzenberg & Fischer, 1906) is rediscovered from Boa Vista and considered a sibling species of V. cernita. Boa Vista Island is proposed as the type locality of V. joubini. A new species of tiny size and showing lesser affinities with V. cernita is described from the circalittoral of Santiago as V. santiagoensis sp. nov. A species group “V. cernita” is defined as being composed of a subgroup “V. cernita” resulting from a radiation at the lower infralittoral and upper circalittoral levels, and of a subgroup “V. blezai” (Ortea, 2019) resulting from a radiation at the upper infralittoral level.

INTRODUCTION

L'espèce Volvarina cernita (Locard, 1897), connue par une seule coquille récoltée à l'île de Saint-Vincent, au nord-ouest de l'archipel du Cap-Vert, par 20 m de profondeur, est restée une espèce élusive depuis sa description. Moreno & Burnay (1999) ont cru reconnaître V. cernita dans diverses populations distribuées dans les petits fonds de l'archipel, en admettant eux-mêmes que la taille du spécimen type est inférieure à la taille de tous les spécimens des petits fonds qui lui ont été attribués.

Ortea (2019) reviendra sur cette problématique en précisant que le rapport longueur/largeur du spécimen type de V. cernita diffère sensiblement de celui mesuré dans les populations des petits fonds attribuées à cette espèce. Ortea (2019) formule l'hypothèse que ces populations des petits fonds présentant des affinités avec V. cernita sont constituées en fait par plusieurs espèces non décrites, l'espèce V. cernita elle-même appartenant à des niveaux plus profonds, et restant à redécouvrir. Parmi ces espèces affines de V. cernita, Ortea décrit dans le même article deux espèces nouvelles de l'infralittoral supérieur de l'île de Saint-Vincent, Mirpurina blezai Ortea, 2019 (L = 6,5-6,9 mm) et M. morna Ortea, 2019 (L = 6,3-7,0 mm), toutes les deux plus grandes et moins élancées que V. cernita (L = 5,2 mm). Ces deux espèces ne diffèrent pas sensiblement entre elles pour le chromatisme de leur animal, mais la coquille de M. morna est plus trapue que celle de M. blezai, sa spire est plus dégagée et elle présente une large bande centrale sur le dernier tour, au lieu d'une simple ligne centrale le plus souvent représentée chez M. blezai. Les deux espèces semblent présenter par ailleurs des différences notables pour leur anatomie interne (plaques radulaires, organe de Leiblen, osphradium, pénis). Dans le même article, Ortea porte le sous-genre Mirpurina Ortea, Moro & Espinosa, 2019 (espèce type: M. illaqueo Ortea, Moro & Espinosa, 2019, jumelle de Marginella taeniata Sowerby, 1846) au rang de genre pour y replacer les Volvarina de l'archipel du Cap-Vert, au motif principal du caractère original de leurs plaques radulaires portant une forte cuspide centrale et un nombre restreint de cuspides latérales nettement plus petites. La pertinence de ce nouveau genre n'ayant pas fait l'objet à ce jour d'une réévaluation d'ensemble à l'échelle du groupe Volvarina sensu lato, on n'utilisera pas la catégorie Mirpurina dans la partie Systématique de la présente révision, pour nous en tenir de manière conservatoire au concept traditionnel de Volvarina Hinds, 1844.

Quelques mois plus tard, Ortea et al. (2019b) décrivent l'espèce nouvelle Mirpurina buracona Ortea, Moro & Espinosa, 2019, fondée sur une population abondante des petits fonds de l'île de Sal précédemment assimilée par Moreno & Burnay (1999) à l'espèce Volvarina cernita. Mirpurina buracona était représentée comme une espèce assez fortement variable pour la morphologie et la décoration de sa coquille, incluant pour l'essentiel les différents caractères reconnus chez les espèces M. blezai et M. morna décrites de Saint-Vincent. Mirpurina buracona ne semble pas se distinguer non plus de M. blezai et de M. morna pour ce qui concerne le chromatisme de l'animal, et ses plaques radulaires, assez fortement variables elles aussi, semblent être très proches de celles de V. morna. En définitive, les traits réellement distincts de M. buracona semblent être l'organe de Leiblen (fronde distale triangulaire, versus tubulaire chez M. blezai et M. morna) et dans une moindre mesure le pénis (forme effilée, aigüe et rectiligne chez M. buracona, versus tirebouchonnée chez M. blezai, et rectiligne mais plus trapue et émoussée chez M. morna). Ortea, Moro & Espinosa reconnaissaient explicitement M. buracona comme étant «apparentée» avec l'espèce élusive Volvarina cernita décrite de Saint-Vincent.

Dans un article consacré à la description de plusieurs espèces nouvelles de Mirpurina de l'île de Sal, Ortea et al. (2019c) poursuivent leur étude du complexe d'espèces Volvarina cernita en décrivant l'espèce Mirpurina antoniogonzalezi Ortea, Moro & Espinosa, 2019, à partir de spécimens globalement très semblables à M. buracona, collectés à des niveaux plus profonds que celle-ci (6-18 m pour M. antoniogonzalezi, versus 0-2 m pour M. buracona), présentant une coquille plus étroite et en moyenne plus petite (5,0-6,4 mm pour M. antoniogonzalezi, versus 6,2-7,5 mm pour M. buracona), une décoration à trois bandes avec une bande centrale le plus souvent large (le plus souvent très étroite et foncée chez M. buracona, mais parfois large et de couleur moins soutenue), et un chromatisme de l'animal globalement plus clair (plages noires plus étendues sur le manteau interne et points noirs sur le pied, le siphon et les tentacules de M. buracona). L'étude anatomique révélait par ailleurs que M. antoniogonzalezi possède des plaques radulaires très semblables à celles de M. buracona, un pénis et un organe de Leiblen assez semblables, et un osphradium légèrement différent. Ortea et al. (2019c: 65) soutiennent enfin que V. cernita possède une coquille plus étroite, un labre plus fin et des plis columellaires « très différents» de ceux de M. antoniogonzalezi.

Dans un travail plus récent, Ortea & Moro (2023) décrivent du « supralittoral rocheux» de Saint-Vincent, sous le nom de Mirpurina edytavaresi, une nouvelle espèce jumelle dans le groupe M. blezai. Cette nouvelle espèce, un peu plus grande apparemment (7,3-7,4 mm) que les espèces précédemment décrites dans ce groupe de jumelles, ne semble pas différer de M. blezai pour la morphologie de sa coquille. La décoration de celle-ci, constituée de bandes larges et peu soutenues (rosées ou ambre clair), occupe les mêmes positions que celles observées chez M. morna. Pour le reste, le chromatisme de l'animal de M. edytavaresi est identique à celui observé chez M. blezai et chez M. morna, et ne semble différer que par la présence de pustules blanches plus nombreuses et plus fortes sur le manteau externe. La plaque radulaire de M. edytavaresi ne diffère pas de celle documentée chez M. blezai, mais son osphradium comme son organe de Leiblen semblent différer sensiblement de l'anatomie documentée chez M. blezai et chez M. morna. Une étude générale de la variabilité et des recouvrements de forme à l'intérieur du groupe de jumelles « M. blezai» reste néanmoins à effectuer, y compris concernant les éléments d'anatomie interne qui peuvent être sujets eux-mêmes à variation intraspécifique, comme cela est par exemple documenté par Ortea et al. (2019b: pl. 10A-B) pour la radula de M. buracona.

La présente étude est consacrée à une révision de l'espèce Volvarina cernita et des formes affines, qui s'appuie sur les travaux précédents ainsi que sur un matériel original constitué par quelques coquilles assimilables à V. cernita ou prochement apparentées, provenant de l'infralittoral inférieur et du circalittoral de l'archipel du Cap-Vert. Le groupe apparenté d'espèces jumelles «Mirpurina blezai» n'est révisé qu'à travers l'espèce M. buracona que nous avons pu étudier sur le terrain à Sal.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Jusqu'au milieu des années 1990, l'essentiel des récoltes de mollusques benthiques dans l'archipel du Cap-Vert provenait de collectes à pied ou en snorkeling, effectuées sur des fonds de 0 à 4-5 m. Un nombre restreint de spécimens ou de coquilles avec pagure était parfois récupéré dans les casiers à crustacés (différentes espèces de langoustes, ainsi que les grandes crevettes et la grande cigale de mer, de 20 à 450 m), mais le matériel conservé était essentiellement centimétrique et les espèces millimétriques échappaient globalement à l'attention, sauf exception rarissime (obs. pers.). S'agissant des espèces millimétriques non représentées dans les 5 premiers mètres, les coquilles ex-pisces semblent avoir été une source moins exceptionnelle. De premières expériences de dragage (drague triangulaire et petit chalut) semblent avoir été menées à partir de la seconde moitié des années 1980 à Sal et à Boa Vista, ainsi que de premières tentatives de prélèvement de sédiments à la benne artisanale dans les îles du sud durant les années 1990, mais sans résultats significatifs et sans suite connue (P. A. Bernard, comm. pers.). À partir de la fin des années 1990, de premières tentatives de collecte de mollusques benthiques en plongée-bouteille semblent avoir été menées. Mais du fait de la logistique complexe (absence de clubs de plongée) et du manque d'expérience des plongeurs, les récoltes de mollusques marins sont restées insignifiantes jusqu'au milieu des années 2000, et les premiers mollusques benthiques de l'archipel obtenus en plongée-bouteille n'ont commencé à être étudiés et publiés qu'à partir des années 2010.

Les campagnes CANCAP de 1982 et 1986 dans l'archipel du Cap-Vert (Muséum de Leiden et Muséum de Rotterdam) semblent avoir produit des résultats notables en ce qui concerne les micro-mollusques du circalittoral, et la campagne effectuée en 1997 par l'Université canarienne de Las Palmas, bien que dotée de moyens inférieurs, semble avoir obtenu des compléments utiles dans le même domaine. Mais ces collections n'ont pas fait pour l'instant l'objet d'une exploitation méthodique, tout au moins pour les micro-mollusques, et la faune des mollusques benthiques du circalittoral de l'archipel du Cap-Vert reste, de ce fait, inconnue pour l'essentiel. Le matériel original étudié dans cet article provient de deux sources: d'une part de collectes effectuées par le premier auteur à l'île de Sal en juillet 1995 (faune des petits fonds en snorkeling autour de l'île, et dragages ponctuels à la drague-traineau à l'extrémité sud par 20-25 m), d'autre part de quelques donations, échanges ou achats réalisés durant les années 1995-2005. Ces dernières obtentions sont globalement mal documentées: si l'île d'origine paraît claire (Saint-Vincent, Boa Vista, Santiago et Fogo), les moyens de collecte, les sites de récolte et la bathymétrie ne sont pas renseignés ou sont ambigus, notamment du fait de graphies incertaines, mais aussi du fait de fortes pentes et de phénomènes saisonniers d'upwelling rendant difficile l'appréciation de la profondeur effective. Néanmoins, différents indices nous permettent de reconstituer dans certains cas des données de collecte vraisemblables. Cet aspect sera abordé pour chaque espèce dans les rubriques afférentes au matériel étudié.

Abréviations et Acronymes

MHNB: Muséum d'histoire naturelle de Bordeaux.

MHNG: Muséum d'histoire naturelle Genève.

MNHN: Muséum national d'Histoire naturelle, Paris.

MOM: Muséum océanographique de Monaco.

TFMC: Museo de Naturaleza y Arqueología, Santa Cruz, Tenerife.

CFB: collection du premier auteur.

coq: coquille vide.

spm: sujet collecté vivant.

L: longueur de la coquille.

SYSTÉMATIQUE

Superfamille Volutoidea Rafinesque, 1815
Famille Marginellidae J. Fleming, 1828
Genre Volvarina Hinds, 1844

  • Espèce type: Marginella nitida Hinds, 1844 (= Voluta mitrella Risso, 1826), désignée par Redfield (1871).

  • Volvarina cernita (Locard, 1897)
    Figs 1-8

  • Marginella cernita Locard, 1897: 120-122, pl. IV, figs 10-12, «Talisman, 1883. Dragage 104. Profondeur 20 m. Saint-Vincent (Cap-Vert)».

  • Mirpurina antoniogonzalezi Ortea, Moro & Espinosa, 2019: 62-65, pl. I-IV, « Ilheu Rabo de Junco, Sal, 6-12 m». syn. nov.

  • Matériel type: Lectotype MNHN-IM-2000-651 (Figs 1-2), « Talisman, Dragage 104, Saint-Vincent (Cap-Vert), 20 m», L = 5,2 mm.

  • Autre matériel examiné: 1 coq, «S. Vicente 50 ∫-» ou «S. Vicente S0 ∫-», on retient comme interprétation la plus vraisemblable «Sao Vicente, 50 feet» (Figs 3-4), L = 6,7 mm, CFB; 2 coq, «sud-ouest de Santa-Maria, Sal, dr. 20-25 m» (Figs 5-6), L = 6,3 mm & 6,3 mm, CFB; 1 coq, «50 m s. PVC, Fogo», on retient comme interprétation la plus vraisemblable «50 mètres, sud de Porto de Vale de Carvoeiros, Fogo» (Figs 7-8), L = 6,5 mm, CFB.

  • Description: Voir in Locard, 1897: 120-121, figs 10-12.

  • Distribution: Volvarina cernita, reconnue de Sao Vicente, Sal, Boa Vista et Fogo, est apparemment distribuée dans l'ensemble de l'archipel du Cap-Vert, de l'infralittoral inférieur au circalittoral supérieur. L'étude comparative du chromatisme des animaux vivants, des radulas et de l'anatomie interne (canal alimentaire, osphradium, pénis) dans les différentes populations permettra de vérifier si les différentes populations reconnues sont conspécifiques ou si une radiation d'espèces jumelles («fratrie V. cernita») prévaut en réalité dans l'archipel.

  • Remarques: Ortea (2019) évoque à plusieurs reprises le spécimen type de Marginella cernita Locard, 1897 comme constituant un syntype, sauf dans la légende de sa figure 1B où il qualifie ce spécimen de lectotype. Cette mention ne constituant pas une désignation formelle et intentionnelle de lectotype au sens du Code International de Nomenclature Zoologique (ICZN, 1999: Art. 74.7.3), elle ne peut être retenue comme telle. Pour assurer la continuité de l'emploi, nous désignons ici le syntype de M. cernita Locard, 1897 comme lectotype.

  • La localité type donnée par Locard est confuse. En réalité, la station DR 104 de la campagne du Talisman, effectuée à Saint-Vincent le 19 septembre 1883, est donnée pour une profondeur de 105 m dans d'autres parties de l'ouvrage de Locard (1897). C'est la station que retient le MNHN pour la fiche du lectotype. Toutefois l'erreur de Locard (1897: 120) pourrait ne pas avoir porté sur la profondeur mais sur la station: on observe que la station DR 105 effectuée à Saint-Vincent correspond bien à une profondeur de 20 m. On ne détient aucun moyen de vérifier quelle était en réalité la station attachée au spécimen type de Marginella cernita (DR 104 ou DR 105), et donc quelle était la profondeur correspondant à cette récolte (20 m ou 105 m), l'une et l'autre semblant être en l'état tout aussi plausibles. Il nous paraît approprié dans le cas précis d'émender la localité type sous la forme restrictive de « Saint-Vincent (Cap-Vert)».

  • Les rares coquilles reconnues ici comme appartenant à l'espèce Volvarina cernita présentent une importante homogénéité des caractères morphologiques et du système de décoration, en dépit d'une distribution apparemment étendue à l'ensemble de l'archipel (Figs 1-8). La population décrite de Sal (6-18 m) sous le nom de V. antoniogonzalezi (Ortea, Moro & Espinosa, 2019), bien que présentant dans sa forme typique (holotype: ibidem, pl. 1) une coquille légèrement plus épaisse et trapue que celle de la forme typique de V. cernita (Figs 1-2), est parfaitement compatible avec cette dernière, non seulement par sa taille (L = 5,0-6,45 mm versus 5,2-6,7 mm documentés pour V. cernita) et par sa silhouette, mais aussi par tous ses détails morphologiques (protoconque, système sutural, forme et insertion du labre, forme et orientation des plis columellaires) et par son système de décoration. On signale en outre que la variabilité morphologique de V. antoniogonzalezi recouvre en réalité celle de V. cernita, comme le montre le spécimen plus étroit et plus élancé illustré de Palmeira par Ortea et al. (2019c: pl. 2C). En outre ce dernier spécimen présente un système de décoration aux couleurs passées assez semblable à ce qui prévaut chez V. cernita. Sur cette base, il semble raisonnable de placer provisoirement V. antonioganzalezi en synonymie avec V. cernita, sous réserve des vérifications ultérieures évoquées plus haut (rubrique « Distribution»). Les nombreux détails fournis par Ortea et al. (2019c) sur la physionomie et l'anatomie interne de la population de Sal seront spécialement utiles pour effectuer des comparaisons avec des spécimens vivants des populations affines des autres îles de l'archipel. Trois formes plus ou moins prochement apparentées à V. cernita sont rencontrées dans l'archipel, et révisées ci-dessous.

  • Volvarina joubini (Dautzenberg & H. Fischer, 1906)
    Figs 9-10

  • Marginella joubini Dautzenberg & Fischer, 1906: 18-19, pl. 1, fig. 17, sans localité.

  • Matériel type: Syntype MOM, L = 8,3 mm, « Sta 1203, 91 m, 4 miles SW de Boavista».

  • Autre matériel examiné: 1 coq, « Boa Vista» (Figs 9-10), sans bathymétrie, L = 7,1 mm, CFB.

  • Description: Voir in Dautzenberg & H. Fisher, 1906: 18-19, fig. 17.

  • Distribution: L'espèce n'est connue pour l'instant que du circalittoral de l'île de Boa Vista, archipel du Cap-Vert.

  • Remarques: Volvarina joubini (Dautzenberg & Fischer, 1906) est décrite sans localité, mais l'étiquette attachée au syntype du MOM est parfaitement précise: « Sta 1203, 91 m, 4 miles SW de Boavista» (Moreno & Burnay, 1999: 108; fig. 37). Nous proposons ici d'attribuer comme localité type à V. joubini: « Sud-ouest de Boavista, 91 m». Volvarina joubini (Figs 9-10) présente une grande proximité morphologique avec V. cernita. Elle diffère de celle-ci principalement par une silhouette plus pincée dans sa moitié antérieure, une ouverture plus étroite et un labre plus flexueux. On observe que notre spécimen (Figs 9-10), bien que de taille un peu inférieure au spécimen type, présente exactement la même morphologie de coquille que celui-ci. Dautzenberg et Fischer (1906) décrivent la décoration de la coquille comme étant de couleur fauve et portant deux bandes décurrentes plus claires, la bande supérieure étant plus large. On retrouve ce système chez notre spécimen, à ceci près que son coloris de fond est mauve clair, ce qui reflète peut-être un état de fraîcheur différent.

  • Figs 1-16.

    Coquilles d'espèces du genre Volvarina. (1-2) V. cernita (Locard), lectotype MNHN-IM-2000-651, « Talisman, 1883, Dragage 104, Saint-Vincent, Cap Vert, 20 m», L = 5,2 mm. (3-4) V. cernita (Locard), São Vicente, 50 f, L = 6,7 mm, CFB. (5-6) V. cernita, Sud-ouest de Santa Maria, Sal, 20-25 m, L= 6,3 mm, CFB. (7-8) V. cernita, Ouest de Fogo, 50 m, L = 6,5 mm, CFB. (9-10) V. joubini (Dautzenberg & Fischer), Boa Vista, sans bathymétrie, L = 7,1 mm, CFB. (11-12) V. santiagoensis sp. nov., holotype MHNG-MOLL-152426, Santiago, circalittoral, L = 5,9 mm. (13-16) V. buracona (Ortea, Moro & Espinosa), Fontona Bay, Sal, 0-2 m, L = 7,3 et 7,2 mm, CFB.

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    Volvarina santiagoensis sp. nov.
    Figs 11-12

  • Matériel type: Holotype MHNG-MOLL-152426 (Figs 11-12), « Santiago coq prof» ou « Santiago cas prof», on retient comme interprétation la plus vraisemblable « Santiago, coquille profonde», L = 5,9 mm, ex-CFB.

  • Diagnose: Par plusieurs caractères morphologiques, V. santiagoensis sp. nov. présente d'importantes affinités avec V. cernita, notamment en ce qui concerne sa taille, la forme de sa spire, de son labre et de ses plis columellaires. V. santiagoensis diffère de V. cernita par une silhouette plus ovale et trapue, une protoconque « en téton», un labre plus large dans sa partie ventrale et un système de décoration à cinq bandes sur le dernier tour (versus trois bandes dont les deux centrales plus larges chez V. cernita), incluant des marques de couleur débordant de manière importante dans trois secteurs sur la partie ventrale du labre.

  • Description: Silhouette subovale, plus effilée dans sa partie antérieure, bord antérieur gauche légèrement busqué, protoconque basse, lenticulaire, nucleus légèrement saillant, insertion du labre sous la suture supérieure, partie antérieure du labre infléchie, ouverture étroite se dilatant modérément vers le bas, canal anal arqué, long et étroit, remontant jusqu'au-dessus de la suture inférieure, quatre plis columellaires obliques et peu arqués, le second pli étant le plus fort et le quatrième pli le plus faible. Couleur de fond beige-corne, cinq bandes de couleur miel sur le dernier tour, la bande inférieure ne se manifestant que sur le revers du labre à la base de la coquille, une longue marque miel foncé sur le haut du labre, une tache plus courte juste sous la rupture de profil formée au tiers supérieur du labre, et une zone équivalente à la base du labre.

  • Distribution: Volvarina santiagoensis sp. nov. (Figs 11-12) n'est connue pour l'instant que du circalittoral de l'île de Santiago, archipel du Cap-Vert, localité type de l'espèce.

  • Remarques: Par plusieurs caractères morphologiques, V. santiagoensis sp. nov. présente d'importantes affinités avec V. cernita, notamment en ce qui concerne sa taille, la forme de sa spire, de son labre et de ses plis columellaires. V. santiagoensis diffère de V. cernita par une silhouette plus ovale et trapue, une protoconque «en téton», un labre plus large dans sa partie ventrale et un système de décoration à cinq bandes sur le dernier tour (versus trois bandes dont les deux centrales plus larges chez V. cernita), incluant des marques de couleur débordant de manière importante dans trois secteurs sur la partie ventrale du labre. De par ses différences morphologiques et chromatiques, V. santiagoensis semble être moins prochement apparentées à V. cernita que ne semble l'être V. joubini. Néanmoins on peut considérer que ces trois espèces appartiennent à un même groupe d'espèces affines «V. cernita».

  • Volvarina buracona (Ortea, Moro & Espinosa, 2019)
    Figs 13-16

  • Mirpurina buracona Ortea, Moro & Espinosa, 2019b: 37-46, pl. 1-12, « Ponta por Tras da Cruz, Sal», petits fonds.

  • Matériel type: Holotype TFMC, L = 7,2 mm, « Ponta por Tras da Cruz, Sal», petits fonds.

  • Autre matériel examiné: Nombreux spm de Sal [Guincho do Ninho, Regona, Baia de Fontona, Joaquim Petinha, Praia de Canoa, Calheta Fonda (Figs 13-16), Algodoeiro, Ponta Preta], 0-2 m, CFB.

  • Description: Voir in Ortea et al., 2019b: 37-40, pl. 1-4.

  • Distribution: Volvarina buracona (Ortea, Moro & Espinosa, 2019) n'est reconnue pour l'instant que de l'île de Sal, archipel du Cap-Vert, où elle est abondante dans les petits fonds rocheux. Une population apparemment identique est distribuée à Boa Vista, mais les travaux d'Ortea (2019), Ortea & Moro (2023) et Ortea, Moro & Espinosa (2019b, c) semblant discerner différentes formes jumelles dans les différentes îles du Cap-Vert, il convient de faire reposer toute identification dans ce groupe sur le même effort de documentation et de comparaison des caractères phénétiques et anatomiques pour les différentes populations de l'archipel.

  • Remarques: Les populations de V. buracona (Figs 13-16) de l'île de Sal montrent une variabilité importante pour ce qui concerne la forme et la décoration de la coquille, mais pas de variabilité notable pour ce qui concerne le chromatisme de l'animal. Cette variabilité des coquilles (L = 6,0-8,0 mm) ne semble pas être moins importante que celle documentée pour les populations de Saint-Vincent, d'où Ortea (2019) a reconnu deux espèces jumelles sympatriques, V. blezai et V. morna, avant qu'Ortea & Moro (2023) n'y reconnaissent une troisième espèce jumelle, V. edytavaresi. Le travail approfondi mené par Ortea et al. (2019c) sur les populations de Sal assimilées à V. buracona ne spécifie pas si l'anatomie interne a été étudiée pour différents spécimens relevant de formes contrastées, aux fins de recherche de «jumelles cachées».

  • Une population apparemment identique par sa coquille à V. buracona est représentée à l'île de Boa Vista (comm. pers.). Une étude comparative reste à effectuer pour vérifier le statut taxonomique de cette population, comme il conviendrait de le faire pour les populations homologues des autres îles de l'archipel non documentées pour l'instant. Compte tenu de la détermination de trois espèces jumelles relevant du groupe «V. blezai» à Santiago et d'une autre jumelle relevant du même groupe à Sal, il est en effet probable que cette radiation ait fondé d'autres espèces jumelles en différents points de l'archipel.

  • DISCUSSION

    Le groupe d'espèces jumelles «V. blezai» ne semble pas présenter de caractères distinctifs évidents par rapport à V. cernita, hormis la possession de coquilles un peu plus trapues et parfois un peu plus grandes: L = 6,0-8,0 mm pour V. buracona et L= 7,3-7,4 mm pour V. edytavaresi, mais seulement L = 6,25-6,9 mm pour V. blezai et L = 5,7-7,0 mm pour V. morna, versus L = 5,2-6,7 mm pour V. cernita. Nous proposons donc de considérer que toutes ces espèces appartiennent au même groupe d'espèces «V. cernita», au sein duquel deux sous-ensembles peuvent être distingués: un sous-groupe «V. cernita» (V. cernita, V. joubini, V. santiagoensis) qui semble procéder d'une radiation d'espèces dédiées à l'infralittoral inférieur et au circalittoral, et un sous-groupe «V. blezai» (V. blezai, V. morna, V. buracona, V. edytavaresi) qui semble procéder d'une radiation d'espèces dédiées aux petits fonds de la frange côtière.

    REMERCIEMENTS

    Nous sommes redevables à de nombreux collectionneurs et chercheurs pour l'aide apportée en matière de matériel coquillier et d'informations de terrain concernant la faune malacologique de l'archipel du Cap-Vert, notamment à Emilio Rolán (Vigo, Espagne), Antonio Nora (Porto, Portugal) et Jacques Pelorce (Le Grau-du-Roi, France), ainsi qu'aux regrettés Pierre Alexandre Bernard (Praia, Cabo Verde), Francisco Fernandes (Luanda, Angola) et Jose-Maria Hernandez (Galdar, Gran Canaria). Les auteurs souhaitent remercier aussi le Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève pour le soutien apporté, Laurent Charles (MHNB) pour la relecture effectuée et les judicieuses préconisations, ainsi que la Revue suisse de Zoologie pour l'accueil réservé à nos travaux.

    Crédits photographiques: Figs 1-2: Manuel Caballer, Programme RECOLNAT (ANR-11-INBS-0004), MNHN. Les autres photographies ont été réalisées par le second auteur.

    This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC BY 4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original author and source are credited (see  https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/).

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    Accepted: 19 January 2024; Published: 30 April 2024
    KEYWORDS
    bathymétrie
    bathymetry
    distribution géographique
    espèces jumelles
    geographic distribution
    Mirpurina
    Mirpurina
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